Chapitre 1 : Odile Lebrun-Théron, médecin et hypnothérapeute

Je m’appelle Odile Lebrun-Théron, je suis médecin généraliste. J’ai cinquante ans, je suis mariée avec Jean Lebrun avec qui j’ai eu deux enfants. Deux superbes filles, Amélie, vingt-trois ans et Bénédicte, dix-neuf ans. A eux trois, ils sont le centre de ma vie. Lorsque nous nous sommes mariés, j’ai voulu garder le nom de jeune fille de ma mère en l’apposant à celui de Jean. J’en suis tellement fière et je voulais que mes enfants le perpétuent. Mes parents sont originaires de Lyon et ma mère est issue d’une grande famille lyonnaise. Nous possédons une très jolie maison en région parisienne, à Vaucresson ; la meulière dont je rêvais quand je faisais mes études à la fac de médecine. Je me souviens que, au moment du concours de l’internat, nous étions tous en train de nous renseigner sur les spécialités qui nous rendraient riches. J’ai opté pour la chirurgie cardiaque qui était très à la mode, mais j’ai vite déchanté dès la première année. J’avais mis les pieds dans un monde de mandarins machistes qui m’ont fait vivre un enfer quatre ans durant en me montrant, sans aucune gêne, à quel point ils déconsidéraient les femmes. Mon diplôme en poche, et sur les conseils avisés de Jean, j’ai fui ce milieu en décidant de m’installer comme médecin de ville. J’ai ouvert mon cabinet en 2006 rue d’Athènes dans le neuvième arrondissement de Paris où j’exerce toujours. Mon cabinet est pour moi mon deuxième chez moi. Pour rien au monde je ne me verrais déménager. J’y ai mes habitudes. Je connais tous les commerçants du coin qui sont aussi mes patients.

Ce matin-là j’étais partie en retard de la maison. Il y avait un monde fou sur l’autoroute entre Vaucresson et Paris. D’ordinaire, je mets à peine une heure pour rejoindre le cabinet, mais, ce jour-là, le réveil n’avait pas sonné et Jean était en déplacement à Londres. Je me sentais bête. J’avais appelé Sandrine, mon assistante au cabinet, pour lui dire d’annuler les quatre premiers rendez-vous.

Lorsque je suis arrivée à dix heures et quart, Sandrine est accourue vers moi.

Il y a cinq ans, Jean et moi avons racheté au propriétaire les murs de l’appartement que je louais et qui me sert de cabinet. Jean pense à juste titre que l’haussmannien ne perdra jamais de valeur. Nous avons tout refait à l’intérieur. Passé la double porte palière, une grande entrée donne à droite sur le bureau de mon assistante et à gauche sur la salle d’attente. Une troisième porte donne sur le laboratoire que je n’utilise que rarement. Depuis la salle d’attente que j’ai voulue assez grande, on accède à mon cabinet qui est encore plus grand. Je dispose d’une porte dérobée qui me permet de quitter le cabinet sans repasser par la salle d’attente et de rejoindre l’entrée en passant devant les sanitaires. Le tout fait cent-cinquante mètres carrés sur du parquet en point de Hongrie et sous une belle hauteur de plafond. L’appartement, situé au deuxième étage, ouvre à la fois sur la cour intérieure de l’immeuble et sur la rue, ce qui permet de profiter d’une belle lumière traversante qui donne une ambiance très lumineuse à l’ensemble.

— Odile ! Je suis désolée, me fit Sandrine d’un air embarrassé. Madame Flandrin qui attend dans la salle d’attente avait rendez-vous à neuf heures trente. J’ai eu beau lui dire que son rendez-vous devait être reprogrammé, elle n’a rien voulu entendre. Je n’ai pas trop insisté, car elle a vraiment l’air mal en point et semble très nerveuse. Je n’ai pas voulu que cela tourne à l’esclandre…

Je passai la tête par la porte de la salle d’attente.

Trois personnes attendaient. Deux patients que je connaissais et une femme que je n’avais jamais vue. Elle avait la tête penchée en avant et ses cheveux cachaient son visage. Les deux hommes qui s’étaient plongés dans la lecture des vieux Paris-Match que je laisse traîner sur la table basse levèrent la tête en m’apercevant.

— Bonjour, messieurs-dames ! Je suis à vous dans un instant… puis me retournant vers Sandrine « ne vous inquiétez pas… vous avez bien fait. Je vais la prendre en premier et la journée va bien se passer, lui dis-je en lui tapotant sur l’épaule.

Je passai dans mon cabinet par la porte dérobée, me lavai rapidement les mains et enfilai ma blouse. Après avoir revu la liste des consultations sur l’écran de l’ordinateur qui trône sur mon bureau, j’allai ouvrir grand la porte qui donne sur la salle d’attente.

— Madame Flandrin ?

La femme qui avait gardé la tête baissée, se dressa devant moi. Ses joues étaient encore masquées par ses cheveux qu’elle s’empressa de ramener sur le devant. Elle gardait la tête baissée. Visiblement elle voulait cacher son visage aux deux autres patients.

— Vous venez ? Lui dis-je.

Suzanne Flandrin était une femme de taille moyenne, plutôt mince, qui devait avoir la petite quarantaine selon ce que je pus voir à ses mains. Elle portait un tailleur crème très élégant sur un bustier de mousseline. Sur le revers de sa veste, une belle broche dorée représentant une abeille complétait une tenue des plus élégantes. Elle portait des escarpins à talons aiguilles rouges qui la grandissaient. Un foulard H aux motifs chamarrés assortis à ses chaussures était posé sur ses épaules. En tout cela elle ne dépareillait pas de ma clientèle habituelle. Seuls ses cheveux longs châtains parsemés de mèches grises semblaient très mal arrangés et cela détonnait avec le côté impeccable du reste de sa tenue. Sans plus voir son visage, je la faisais entrer dans mon cabinet et refermais la porte derrière elle.

— Asseyez-vous, je vous en prie.

Elle n’avait pas encore dit un mot. Tout en passant derrière le bureau, j’entrepris de la mettre à l’aise.

— On ne se connaît pas ? C’est la première fois que vous venez me voir ? Qu’est-ce qui vous amène ?

Alors que je m’asseyais en lui faisant face, elle avait gardé la tête baissée et la releva en remontant les mains vers ses joues. Elle écarta les cheveux et découvrit un visage boursouflé et couvert de tâches rougeâtres formant de grandes plaques de croutes. Ses yeux étaient cernés et gonflés et leur blanc injecté de sang. Je compris la raison pour laquelle elle avait pris tant de précautions pour ne pas incommoder les deux patients qui étaient en même temps qu’elle dans la salle d’attente.

— Je viens pour cela… dit-elle simplement. On m’a diagnostiqué un psoriasis du visage.

Elle ouvrit son sac à main et en sortit une enveloppe qu’elle me tendit.

— Je viens de la part du Professeur Duthour, dermatologue à l’hôpital Georges Pompidou. Il pense que vous pouvez m’aider…

Jacques Duthour, l’éminent professeur de Dermatologie, qu’on voyait régulièrement passer dans des émissions de télévision, m’adressait l’une de ses patientes ! Qu’est-ce que cela voulait dire ? D’ordinaire, c’était moi qui envoyais mes patients chez les spécialistes ; pas le contraire. Qui croyait-il que je fusse pour m’envoyer une patiente atteinte de psoriasis ? Il devait y avoir erreur. Il m’avait pris pour quelqu’un d’autre, me dis-je. Je saisis la lettre sur laquelle étaient bien dactylographiés mon nom et l’adresse du cabinet. Je n’en revenais pas. Je l’ouvris et la lus.

« Chère consœur.

Je suis depuis plusieurs mois madame Suzanne Flandrin pour une maladie de la peau de type psoriasis du visage dont nous avons évalué la gravité, selon l’indice PASI, à 69 sur une échelle allant de 0 à 72. Madame Flandrin a subitement déclaré la maladie sans antécédents il y a environ sept mois. Je l’ai reçue en consultation à la demande de son médecin traitant, le docteur Grimaud, médecin généraliste à Feucherolles.

Au terme de six mois de consultation et de recherches, nous sommes parvenus à déterminer que la cause du psoriasis de madame Suzanne Flandrin n’est d’origine ni génétique ni médicamenteuse ni environnementale. Il semble donc que madame Flandrin ait déclaré la maladie à la suite d’un choc émotionnel. Pour autant, aucun événement dans le passé conscient de madame Flandrin ne semble permettre de déceler une quelconque cause traumatique. Madame Suzanne Flandrin s’est volontairement prêtée à des examens psychiatriques poussés qui n’ont permis de déceler aucune névrose ni aucun trouble de la personnalité qui auraient pu expliquer qu’elle aurait dissimulé des expériences refoulées.

Comme vous pourrez le constater, la localisation et l’étendue de l’inflammation de la peau du visage donnent à la maladie un caractère éminemment handicapant qui empêche madame Suzanne Flandrin d’avoir une sociabilité normale. À ma grande surprise, aucun des traitements médicamenteux ou à base de pommades que nous avons essayés n’ont eu d’effet sur la virulence des éruptions. C’est donc en désespoir de cause que je vous l’envoie.

Je me demande, en effet, si madame Suzanne Flandrin ne pourrait pas retrouver un souvenir lointain et enfoui lors de séance d’hypnoses dont je me suis laissé dire par le Professeur Duval, de la Pitié-Salpétrière, que vous étiez une praticienne réputée. Je ne vous aurais pas adressé madame Suzanne Flandrin si je n’avais pas la certitude que vous saurez la prendre en charge dans le respect de la déontologie qui s’impose. J’espère que cette dernière tentative de trouver la cause de son mal permettra de la soulager.

Je me tiens à votre disposition pour tout complément d’information que vous jugerez utile.

Veuillez agréer… »

Signé Jacques Duthour !

Je n’en croyais pas mes yeux ! Sur le coup, je me sentis très flattée. Moi ! une simple médecin généraliste de ville, appelée à la rescousse par l’un des plus grands médecins de France ! Et, en même temps, je ne voyais pas comment l’hypnose que je pratiquais sur mes patients victimes d’addictions ou de phobies aurait pu être d’une quelconque utilité dans le cas de Suzanne Flandrin. Ma patientèle régulière est essentiellement parisienne, plutôt fortunée et locale. En dix-sept ans j’ai vu le changement s’opérer. Alors que je recevais beaucoup de familles à mes débuts, elle s’est recomposée progressivement de personnes âgées et de jeunes cadres dynamiques fortunés. Les familles ne représentent plus qu’une petite partie des gens qui viennent me voir. Cela a eu d’importantes répercussions sur ma pratique. Tandis que les familles me conduisaient à faire de la médecine de maladies infectieuses infantiles, la patientèle d’aujourd’hui est plus en attente de traitement des troubles de la vieillesse ou du mal-être en général. Les jeunes cadres, pour parler d’eux, sont soumis à un stress intense qui en conduisent certains à toutes les addictions quand ils ne présentent pas de graves syndromes dépressifs. Au début, je me suis sentie un peu dépassée par leurs demandes et j’avais tendance à les renvoyer vers des spécialistes. Jean m’a conseillée de m’intéresser à cette nouvelle demande. Il a considéré à juste titre qu’il y avait là une manne qu’il ne fallait pas ignorer. Jean est l’un des directeurs de la banque d’investissement d’une grande banque française. Il a souvent affaire à des cas de collaborateurs qui présentent des troubles du comportement, certains allant même jusqu’à se droguer avec toutes sortes de produits pour tenir le rythme. Il a eu l’idée géniale de me souffler de chercher si, sans empiéter sur le domaine des psychiatres, je ne pouvais pas apaiser les troubles de ces gens en m’appuyant sur des médecines douces. J’ai donc cherché, me suis rendue à de nombreux colloques et, il y a six ans, je me suis lancée dans l’hypnose thérapeutique. Cela ne marche pas dans tous les cas, mais je peux m’enorgueillir d’avoir déjà obtenu quelques beaux résultats. Je me souviens notamment d’Iled, un jeune trader d’origine libanaise, qui devait avoir une petite trentaine d’année. Il avait développé une addiction assez sévère à la cocaïne et souhaitait s’en sortir. Il avait vu mon nom dans l’annuaire d’une association auprès de laquelle je m’étais fait référencer. En cinq séances d’hypnose, nous sommes parvenus à lui faire lâcher la cocaïne. Ce fut mon premier succès important et Iled m’a ensuite envoyé toute une petite troupe de gens, comme lui, que j’ai traitée de la sorte. Le bouche-à-oreille a fait le reste. Je traite le plus souvent des cas d’addiction à l’alcool et au tabac et je peux me vanter de m’être fait une certaine réputation dans ce domaine. Je me suis perfectionnée dans la maîtrise de la technique en suivant des formations et j’ai fait de merveilleuses rencontres lors de stages. J’ai notamment découvert que je pouvais étendre le champ d’application de la technique au traitement des allergies et des phobies. Jean me soutient dans ma démarche même s’il me dit ne plus trop savoir comment empêcher le fisc de nous piller. Il est assez intelligent pour ne pas développer de jalousie du fait que mon activité professionnelle florissante rendrait presque ridicule son superbe salaire dans notre déclaration de revenus.

Je repliai la lettre et regardai Suzanne qui attendait en silence en se regardant les chaussures. Je fus prise soudain d’un sentiment de panique. Que devais-je lui dire ? La première idée qui me vint à l’esprit fut que l’hypnose ne changerait rien à la situation et que Duthour m’avait refilé un cadeau empoisonné. Nous allions donner à Suzanne de faux espoirs. Je devais le lui dire. Je me raclai la gorge et choisis soigneusement mes mots.

— Je vois… Le professeur Duthour vous envoie à moi en fondant l’espoir qu’une thérapie à base d’hypnose pourrait avoir un effet sur la guérison de votre psoriasis.

— Oui, c’est ce qu’il m’a dit, effectivement.

— Avez-vous déjà été plongée en état d’hypnose, madame Flandrin ?

— Non, pas volontairement, autant que je me souvienne. Peut-être m’est-il déjà arrivé de l’être dans d’intenses moments de concentration ? Quand je conduis ma voiture la nuit par exemple…

— Oui, c’est possible, mais nous ne parlons pas exactement de la même chose. La conduite de nuit à un certain effet hypnotique mais ce n’est pas de l’hypnose thérapeutique…

Je ne pus masquer mon embarras et mon doute devait se lire sur mon visage car Suzanne Flandrin se mit à me supplier.

— Docteur Lebrun-Théron, je ne veux pas dire que vous êtes mon dernier recours mais regardez-moi, ce n’est plus possible de vivre avec çà ! Cette calamité me pourrit la vie. Avant cela, j’avais une vie sociale riche, je pouvais sortir, voyager, rencontrer des gens… J’ai consulté tous les dermatos de la place avant que l’un d’entre eux ne m’envoie chez le plus prestigieux d’entre eux. J’ai eu énormément de chance qu’il me prenne d’ailleurs… Il m’a fait faire tous les examens possibles, a tenté tous les traitements. Rien, vous m’entendez ? Rien n’a résolu mon problème. Et lui aussi baisse les bras aujourd’hui. Je suis prête à tout essayer pour me débarrasser de cette chose et retrouver ma vie d’avant. Alors, de grâce, ne me renvoyez pas…

Elle avait dit ces derniers mots dans un souffle. Je me décidai, sans y croire, de lui demander de me raconter comment cela avait commencé. Elle me dit que c’était arrivé d’un coup et en masse. Elle s’était réveillée un matin avec ces plaques rouges sur tout le visage. Elle avait d’abord cru faire une allergie à une crème quelconque. Elle confessa faire un usage intensif des produits de maquillage. Duthour lui avait demandé de lui rapporter tous les produits d’hygiène du corps et de la maison qu’elle utilisait et les avait fait analyser en laboratoire. Puis il lui avait prélevé de la peau et avait exposé des cultures à toutes les substances contenues dans ces produits. Cela avait coûté cher à Suzanne, car toutes ces analyses chimiques et biologiques n’étaient couvertes par aucune assurance. Rien n’en était sorti. Elle me raconta l’ensemble des protocoles qu’elle avait accepté de subir. Au fil de son récit je prenais conscience de la volonté de fer que cette femme avait démontrée jusque-là. N’importe-qui aurait abandonné à sa place. Pour autant, je ne savais que faire. Je n’avais jamais traité personne pour de tels problèmes de peau qui pour moi ne pouvaient avoir d’origine psychosomatique. Je connaissais les allergies mais ce n’en était pas une visiblement.

— Bien ! Lui dis-je. Avant d’envisager un quelconque protocole, je pense qu’il faut que je m’entretienne avec le Professeur Duthour.

Je la reconduisis à la porte de mon cabinet et lui indiquai que je reprendrais contact avec elle dès que j’aurais pu échanger avec lui. Je demandai à Sandrine de m’obtenir un rendez-vous téléphonique avec Duthour et repris mes consultations. Mon téléphone sonna vers 19:00.

— Bonjour Docteur Lebrun, Jacques Duthour à l’appareil. Je vous prie de m’excuser si la communication est mauvaise, je vous appelle de ma voiture.

— Enchantée Professeur.

— Alors ? Vous avez reçu ma lettre et vous m’appelez pour cela, j’imagine…

— C’est exact. J’ai reçu madame Flandrin ce matin à mon cabinet et je dois vous dire que je me sens franchement désarmée devant le cas que vous me soumettez…

— Ce n’est pas commun, n’est-ce pas ? Un cas très intéressant qui nous donne du fil à retordre. En général on traite les psoriasis assez bien aujourd’hui mais là… rien ne fonctionne !

— … et vous pensez que par l’hypnose…

— Je n’en sais rien, ma chère ! Je suis comme vous… mais on a tout essayé ! Même l’homéopathie ! Rien, je vous dis ! Rien ne vient à bout de cette saloperie ! Alors je m’en remets à la sagesse de Dieu !… C’est bien cela ? Vous conversez avec Dieu dans l’hypnose…

Il y avait comme une pointe d’ironie dans son ton qui ne manqua pas de m’agacer…

— Pas vraiment, Professeur ! Il se trouve que dans certains états de conscience modifiée, les patients arrivent à reprogrammer l’inconscient et à se débarrasser de mauvaises habitudes ou de comportements inappropriés. Mais cela n’a rien à voir avec de l’ésotérisme.

— Ah ! L’inconscient ! C’est lui qui nous dirige ! Je suis d’accord avec cela. Je trouve que nous autres médecins sommes complètement nuls dans ce domaine. Mais, vous… vous avez sauté le pas, n’est-ce pas ? On m’a dit le plus grand bien de vous d’ailleurs…

— Ecoutez, j’en suis très flattée mais je ne crois pas qu’une éruption cutanée de cette sorte soit commandée par l’inconscient. En tous cas, je n’ai jamais traité de tels cas !

— Vous vous sous-estimez, Lebrun ! Vous devriez jeter un coup d’œil sur ce bouquin qu’a écrit un médecin américain du nom de Heymann… Robert ou Ruppert Heymann, je ne sais plus trop bien. Je crois que c’est Ruppert. Il a plein de choses à vous apprendre. Si j’avais vos talents d’hypnothérapeute, j’aurais testé ses recettes ! Mais je ne sais pas tout faire et je pense que j’aurais du mal à lâcher prise. Mais vous… Vous maîtrisez ces techniques. Alors qu’avons-nous à perdre ? Et si cela devait donner des résultats, on publiera ! Qu’en dites-vous ?

La conversation se termina sur ma promesse d’effectuer quelques recherches mais sans plus. Ayant raccroché, je soupirai à l’idée que j’allais sans doute être harcelée par ce mandarin et sa patiente pour une chose que je n’avais vraiment pas envie de faire. Je me rassurai en me disant que si j’y mettais assez de mauvaise volonté, ils finiraient par aller voir ailleurs.

Jean, revenu de Londres, me convaincra le soir même du contraire… Jean et moi, c’est une très belle histoire d’amour. Nous nous sommes rencontrés lors du mariage de Marie-Anne et Bruno. Jean connaissait Bruno depuis leur entrée au lycée de Sceaux. Il fut le témoin de Bruno. Marie-Anne et moi avions passé avec succès notre concours d’entrée en médecine la même année à Paris Descartes. Jean était un beau gosse, grand, brun aux yeux bleus, fraîchement diplômé de l’ESSEC. J’ai complètement craqué sur ce type en redingote qui en imposait par sa faconde et sa culture générale. Il donnait l’impression de savoir tout sur tout. Je m’étais sentie ridicule à côté de ce beau garçon qui avait l’air d’en connaître tant sur l’économie, la politique, l’histoire du monde et même l’art. Ce jour-là, je me suis laissée subjuguer et je dois confesser que je ne le regrette toujours pas. A quarante-neuf ans, Jean est resté égal à lui-même. Il me rassure, me conseille et ses avis sont toujours empreints de cette sagesse qui donne l’impression que rien ne peut vous arriver. Au moment où j’entrais en internat des hôpitaux de Paris, nous nous sommes mariés.