Chapitre 6 : Odile, avec Léo, organise une nouvelle consultation.
Cela faisait bien un mois que j’avais rencontré Léo Degois lorsqu’il m’appela. Il me dit avoir pu vérifier un certain nombre de points du récit de Suzanne et me demanda si nous pouvions organiser une nouvelle consultation pour confirmer quelques détails. Nous nous donnâmes rendez-vous dans une brasserie un midi pour en parler.
— J’ai pu récupérer la liste de 881 Geneviève décédées entre 1900 et 1979 dans le secteur d’Aubusson, me dit-il. J’en ai identifié certaines qui se sont visiblement suicidées, mais il me faut son nom.
— Si vous me donnez votre liste je pourrai lui poser la question lors de sa prochaine séance, lui répondis-je.
— Non justement. Afin de m’assurer que nous n’influençons pas la réponse, je préfère garder cette liste secrète. Pensez-vous pouvoir obtenir cette information ?
— Je ne sais pas. C’est elle qui choisit les moments qu’elle revit. Nous avons fait deux autres séances depuis notre dernière entrevue et je dois avouer que ce qu’elle raconte est de plus en plus surprenant… elle est très prolixe vous savez. La dernière fois, elle m’a raconté être un militaire anglais du 18e siècle en service dans les colonies du nouveau monde. Elle m’a parlé de guerre avec des tribus indiennes locales… j’avoue ne pas avoir tout compris et franchement je ne vois pas le lien avec son problème de peau.
— Vous a-t-elle reparlé de cette prédiction qu’elle a faite la première fois ?
— Non. Mais je n’ai pas vu l’occasion de lui suggérer d’y retourner. Je me demande d’ailleurs, pour être tout à fait honnête, si j’aurais eu le courage de le faire… Vous n’imaginez pas comme elle était effrayante quand elle s’était mise à raconter cette histoire de trou noir. Cela m’avait fait froid dans le dos…
— Je comprends… mais là il va bien falloir y retourner. Pensez-vous que vous y arriverez ?
— Ai-je le choix ? C’est moi qui vous ai contacté la première. J’aurais mauvaise grâce de vous refuser de vous amener les compléments d’information que vous me demandez. C’est déjà formidable de votre part de vous intéresser à mon histoire de fous…
— En tous les cas, je pense que si le nom d’une des femmes qui sont sur ma liste sort… il faudra bien pousser plus loin les investigations. Dans le cas contraire, je laisserai tomber.
Léo me donna encore quelques instructions. Il semblait vouloir vraiment s’assurer que rien ne puisse venir influencer les réponses de Suzanne.
Cinq jours plus tard je recevais Suzanne Flandrin une nouvelle fois. J’entamai la séance comme d’habitude par la recherche d’un moment heureux et j’eus de la chance.
— Je danse. C’est la fête !
— De quelle fête s’agit-il ?
— On est au mariage de ma sœur.
— Vous avez une sœur ?
— Oui ! J’en ai même deux. Pauline ma cadette et Angèle la plus jeune.
— Vous dansez seule ?
— Non !!!! Je danse avec le beau René. C’est avec lui que je vais me marier, mais il ne le sait pas encore…
— Comment vous appelez-vous ?
— Mais je vous l’ai déjà dit ! Geneviève !
— Ah oui ! Excusez-moi… Vous dansez donc avec René ?
— Oui ! Je le trouve beau ! Et il danse drôlement bien la Java.
Je lui demandai de chercher un autre moment heureux avec ce René.
— C’est le jour de notre mariage. On est beau ! Mon père n’est pas venu mais cela m’est égal. C’est l’oncle Henri qui m’a conduite devant Monsieur le Maire.
— Où est votre père ? Au-delà de ce que m’avait demandé Degois, je cherchais quand même à trouver une cause aux troubles de Suzanne dans cette vie.
— Il doit encore se trouver quelque part à cuver son vin. C’est un vrai poivrot ! Ma pauvre mère ! Il lui en fait voir des vertes et des pas mûres ! Quel salaud ! On est bien mieux sans lui et je suis bien contente de ne plus avoir à porter son nom !
— Comment s’appelle-t-il ?
— Ernest ! Ernest Chautalon ! Quel sale bonhomme ! À cause de lui, on nous déteste dans le village. Il faut toujours qu’il déclenche des bagarres au café de la Poste quand il est ivre. Ma mère s’est entendue dire à la messe qu’elle ne savait pas tenir son bonhomme ! La pauvre…
— Quel est ce village ?
— Moutiers. Je suis bien contente d’en partir avec René. Lui, il reprendra la ferme de ses parents à Saint-Pardoux et bon débarras !
— Vous allez changer de nom ?
— Oui ! Aussi ! Je vais devenir madame Aubin ! Quelle joie de ne plus porter ce patronyme de malheur !
Nous terminâmes la séance tranquillement. Je ne voyais toujours pas de lien entre la maladie de Suzanne et ses vies antérieures. Comme l’avait demandé Léo, je lui posai encore quelques questions après la séance.
— Avez-vous gardé des souvenirs de votre passage à Aubusson ?
— Aubusson ? Oh non. J’y suis née mais mes parents n’y ont fait qu’un passage éclair ! Vous savez, papa était muté tous les 3 ou 4 ans. Je n’ai d’ailleurs pas gardé beaucoup d’amis d’enfance à cause de cela. C’est sans doute ce qui m’a permis d’être très à l’aise en société… enfin c’était avant ça. Elle montra son visage. Alors Aubusson, je n’y suis même pas allée à l’école. Je n’ai aucun souvenir de cette période. Pourquoi me demandez-vous cela ?
— Parce que vous en parlez dans vos séances. Vous n’avez pas de souvenir non plus d’une famille Chautalon ou Aubin ? Lui demandai-je en regardant mes notes.
Elle réfléchit et dit :
— non… vraiment cela ne me dit rien. Vous pensez qu’il y aurait un rapport ?
— Vous évoquez ces noms dans vos réponses. Alors je me dois de savoir si vous auriez conservé un souvenir pénible en lien avec ces noms. Mais si vous me dites que non…
Nous gardâmes le silence un moment avant qu’elle ne me questionne encore :
— Docteur ? Pensez-vous qu’on trouvera ?
— Je n’en sais rien, Madame Flandrin. Jusqu’à présent, lui mentis-je, rien dans ce que vous avez raconté n’a déclenché chez vous de réaction remarquable. Par exemple, lorsque les gens qui viennent me voir souffrent de phobies ou d’allergies, ils arrivent souvent à revivre un moment pénible qui leur provoque une peur bleue ou un certain bouleversement. Vous, pour l’instant, rien de tel.
— Et cela arrive rapidement chez vos autres patients ?
— Cela dépend vraiment. C’est très variable. Certains tombent tout de suite dessus. D’autres tournent autour du pot pendant un moment avant d’y venir. D’autres encore ne trouvent jamais.
— Mais vous ne pouvez pas les guider ? Je veux parler de ceux qui ont du mal à trouver…
— Tout dépend de l’endroit d’où on part dans l’histoire que raconte l’inconscient. Selon les meilleurs praticiens, il faut que le thérapeute intervienne le moins possible. En général on laisse le sujet nous dire où il est et c’est lui qui choisit ce qu’il va raconter. À partir de ce point, on peut poser des questions qui vont permettre d’avancer ou reculer dans l’histoire.
— Et jusqu’à maintenant je n’ai rien raconté d’intéressant ?
— Je ne dirais pas cela. Je dis seulement que s’il y a, dans ce que vous avez raconté, quelque chose qui pourrait être la cause de votre maladie aujourd’hui, ceci ne provoque pas chez vous de réaction forte. C’est tout. Mais rassurez-vous, nous commençons à avoir au fil des séances de la matière qui pourrait nous permettre de creuser et de tomber un jour sur un événement qui pourrait expliquer la réaction de votre organisme aujourd’hui. Mais en fait, il m’est difficile de vous en parler puisque vous avez formulé le vœu de ne pas savoir. Il ne tient qu’à vous de me donner l’instruction contraire et je serai heureuse de vous en dire plus.
— Non, non. Je ne suis pas prête à écouter, dit-elle soudain avec empressement. Je crois que j’aurais du mal à prendre ces choses au sérieux. J’ai peur de ne pas me reconnaître. Ai-je tort ?
— Non. Vous seriez sans doute surprise, mais il n’y a rien qui fasse vraiment peur. La plupart des gens parlent de vies antérieures…
— … et moi aussi, coupa-t-elle.
— Vous voulez vraiment savoir ? Lui demandai-je.
Elle réfléchit et répondit par l’affirmative de la tête.
— Eh bien… oui. Votre inconscient raconte des choses qui se seraient passées avant votre naissance.
Elle écarquilla les yeux d’étonnement.
— C’est incroyable ! Mais comment est-ce possible ?
— Nous n’en savons rien. Nous ne savons pas s’il s’agit d’histoires vécues ou inventées. C’est au début assez déroutant. Tout ce que l’on peut dire c’est que la relation de ces histoires permet à beaucoup de gens de corriger des problèmes de santé ou de comportement. Et après tout, peu importe que cela soit vrai ou fantasmatique. Ce qui compte c’est le résultat dans la vie des gens. N’est-ce pas ?
Elle opina du chef et se mit à nouveau à fouiller dans ses poches.
— Vous avez perdu quelque chose ? lui dis-je.
— Eh bien non. Je ne crois pas mais depuis que je travaille avec vous j’ai toujours cette drôle d’impression qu’il me manque quelque chose. C’est parfaitement ridicule !
Je me laissai à penser qu’il y avait là sûrement un lien avec la petite âme perdue mais me gardai de lui révéler mes pensées en la raccompagnant jusqu’à l’entrée du cabinet tandis qu’elle continuait de fourrager dans son sac à main sans rien n’en ressortir.
Suzanne partie, je restai plongée dans mes pensées. Sandrine me sortit de ma rêverie en entrant dans le cabinet.
— Le courrier, me fit-elle.
Je la regardai longuement. Sandrine est une belle jeune femme à la peau noire, toujours très apprêtée. Son visage respire la joie de vivre. Je sais qu’elle est mère célibataire et qu’elle élève seule ses deux enfants, mais nous ne parlons que très rarement de sa situation. Elle est pour moi un pilier, car elle s’occupe de tout ce que je répugne à faire pour le cabinet. Compte tenu de ce que je venais de vivre, je ressentis le besoin de lui parler. Je me décidai à entamer la conversation sans même savoir si elle serait réceptive à ce que j’allais lui dire.
— Je viens de faire une séance des plus perturbantes, lui dis-je.
— Madame Flandrin vous a créé des problèmes ? fit-elle sur son habituel ton rieur.
— Non, mais ses séances me posent un problème existentiel…
Je repris mon souffle avant d’aller plus loin.
— Sandrine ? Que penseriez-vous si quelqu’un vous disait avoir vécu des vies dans d’autres époques ?
— Que voulez-vous dire ?
Je la regardai intensément pour mesurer la réalité de son intérêt. Elle avait l’air sincère dans son questionnement, ce qui me donna du courage pour avancer mes pions.
— Si quelqu’un vous disait un jour qu’il a été quelqu’un d’autre dans une vie antérieure… Comment prendriez-vous cette affirmation ?
Elle me regarda avec sérieux et dit :
— J’écouterais… je… je veux dire que je le prendrais au sérieux et j’écouterais ce qu’il ou elle a à dire…
— Mais, Sandrine, vous avez bien conscience que c’est impossible… Nous sommes des êtres vivants éphémères. Nous naissons, nous vivons et nous mourrons et les vers nous dévorent…
— Je ne suis pas d’accord, Odile. Certains d’entre nous sont sûrement plus que cela… me fit-elle.
Elle prit soudain un air très sérieux et vint s’assoir sur la chaise devant mon bureau.
— Vous êtes une scientifique, Odile. Vous avez entendu parler de la mécanique quantique et des propriétés des particules. Vous avez aussi entendu parler de la thermodynamique. Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme…
Je m’attendais à tout sauf à cela ! Sandrine me dévoilait un aspect de sa personnalité que je ne connaissais pas. Elle poursuivit :
— L’énergie qui vous anime, celle qui vous fait respirer chaque seconde, celle que vous dépensez chaque jour à recevoir et soigner des patients, d’où vient-elle ? Et surtout, que va-t-elle devenir quand vous serez morte ? Vous êtes-vous jamais posé la question ?
Je la regardai sans répondre. Elle poursuivit :
— Aucun médecin ne sait vraiment ce qui fait la différence entre un vivant et un mort. Vous passez votre existence à chercher ce qui tue pour le combattre. Vous ne donnez pas beaucoup de valeur à ceux qui cherchent sur ce qui fait vivre…
Je restai coite. Sandrine était en train de me donner une leçon de sciences naturelles. Me voyant quelque peu désarçonnée, elle continua :
— Ce qui me désole dans la médecine moderne c’est que vous avez de plus en plus tendance à réduire toute la connaissance à ce que vous pouvez voir avec les yeux. Rien de ce que vos yeux ne peuvent voir n’est certifié et pourtant… vous avez su par le passé identifier des pathologies avec le toucher, l’odorat et l’ouïe. Vous appelez cela la sémiologie. Et qui sont les meilleurs dans ce domaine aujourd’hui ?…
Je la regardai sans pouvoir répondre.
— Les médecins africains ! s’écria-t-elle. Eux n’ont pas vos appareils pour voir avec les yeux et ils sont capables de vous diagnostiquer une maladie par d’autres sens que la vue. Vous, les occidentaux, ne faites plus confiance qu’à vos yeux. Vous avez su faire autrement par le passé ! C’est vous qui avez inventé la médecine moderne et petit à petit, à cause des orientations que vous avez données à vos avancées technologiques, vous êtes devenus comme Saint-Thomas. Alors comme vous ne voyez pas l’énergie qui nous anime, vous considérez qu’elle n’existe pas. Pourtant, elle est bien là ! Et quand elle part ? Que devient-elle ? Vous n’en savez rien et vous la niez. Eh bien, moi je vous dis qu’elle peut se disperser dans la soupe quantique mais qu’elle peut dans certains cas rester cohérente et qu’elle participera à une autre forme de vie plus tard et ailleurs car, comme le démontre la physique, aucune énergie ne disparait. Elle devient lumière ou matière. Einstein a démontré que E=mc2 pour un corps et Planck que E=hμ pour une onde électromagnétique. Vous n’avez pas compris le sens profond de ces formules. L’énergie se réorganise en permanence. Elle est capable de mémoriser des expériences. On devrait le savoir puisqu’on sait construire des mémoires de masse pour stocker des données… Donc si quelqu’un vous dit qu’il a été quelqu’un d’autre par le passé, c’est juste qu’il est constitué d’un paquet d’énergie qui a été réemployé pour le créer dans un autre endroit à un autre moment ! Personne ne s’est posé la question de savoir quelle quantité d’un même paquet d’énergie un être vivant réemploie pour se constituer. Ce serait intéressant de le mesurer d’ailleurs…
Elle avait débité tout cela d’une traite. Devant mon air ahuri, Sandrine se leva et ajouta :
— Je vous prie de m’excuser. Je me suis emballée. Je parle de choses que je connais mal…
Elle se retourna et quitta mon bureau. Sandrine venait seulement de m’ouvrir les yeux sur tout ce qu’on ne nous enseigne plus en occident. Elle venait de me donner la meilleure des raisons pour prendre le message de Suzanne au sérieux.
J’appelai Léo et lui fis la relation la plus précise que je pus de ce qu’avait révélé Suzanne. Quand j’eus terminé, il resta un long moment silencieux. Je m’inquiétai :
— Léo ? Vous êtes là ?
— Oui oui. Il semblait très énigmatique.
— Cette Geneviève Chautalon est dans votre liste ? C’est cela ?
— Non. Mais Geneviève Aubin, oui ! Et elle s’est suicidée par pendaison en 1966 à Saint-Pardoux d’Arnet, lâcha-t-il. Elle était fermière de surcroît… vous vous rendez compte de ce que cela veut dire ?
— Mon Dieu ! M’écriai-je soudain. C’est la preuve que toute cette histoire pourrait bien être vraie !
— Ne nous emballons pas, fit-il d’un ton ferme. Je veux voir la vidéo de la séance.
— Mais c’est impossible. Cela relève du secret médical Léo. Vous vous doutez bien que…
— Écoutez Odile… on ne va pas s’embêter avec tout cela. Il sera temps, le moment venu, de demander à Suzanne d’autoriser la lecture de ses bandes par un tiers mais pour l’instant on va s’en passer. Je vous demande de me passer la bande. S’il vous plaît.
— Laissez-moi le temps d’y réfléchir… on ne peut pas faire autrement ?
— J’ai besoin de voir ce qui s’est passé. La manière dont vous avez mené la séance. Je ne peux pas commencer à enquêter si je n’ai pas la certitude qu’il n’y a aucun biais. Sinon, je ne peux pas vous aider.
— Bon ! Et une fois que vous aurez vérifié que je n’ai pas biaisé les réponses, que va-t-il se passer ? Que comptez-vous faire ?
Léo prit un temps de réflexion avant de répondre.
— Je pense qu’il faudra que vous fassiez une déposition récapitulative, fit-il.
— Déjà ? Dis-je étonnée.
— Oui. L’affaire devient trop sérieuse et je ne peux pas faire comme pour mes autres enquêtes. A priori on parle d’un événement à venir, pas d’un cas prescrit. Je vais devoir en informer la hiérarchie.
Cela ne me réjouit pas du tout. Je me rendis compte que, bien qu’ayant pris la précaution de ne faire mes révélations qu’à un membre même oublié de la famille, j’étais en train de me faire embarquer dans une histoire qui allait me dépasser. Je me dis que j’avais été idiote de croire qu’il en serait autrement. Léo était un vrai flic et il semblait vouloir et devoir agir comme tel. La perspective que toute cette histoire devienne publique me paniqua.
— Attendez Léo. Personne ne va nous croire. On va passer pour des fous. Je ne trouve pas qu’il soit raisonnable de mettre cette histoire sur la place publique.
— C’est vous qui êtes venue me voir pour me faire ces révélations, me dit-il. Imaginez que la prédiction se réalise et que nous n’en parlions pas. Cela relève de l’article 223-6 du Code pénal : non-assistance à personnes en danger. Cela vous dit quelque chose ? Je peux vous dire que, s’il devait arriver quelque chose de grave, il y aura enquête. Je suis assermenté et je ne pourrai pas faire autrement que de dire ce que je savais. Il est impossible de tout maîtriser dans de pareilles affaires. Imaginez par exemple que Suzanne Flandrin soit impliquée dans l’attentat. On n’en sait rien mais c’est une supposition. Vous serez interrogée en tant que médecin et Guichard, qui fourre son nez partout et nous a vus, fera le lien. Dès lors je serai mouillé aussi. Non. Croyez-moi. Il vaut mieux passer pour fou que de se faire traîner devant les tribunaux et devoir faire face à la vindicte populaire. Au pire nous passerons pour des guignols mais ce sera bien peu de chose à côté de ce qu’ils nous passeront s’ils découvraient que nous avons dissimulé des informations qui auraient pu éviter la catastrophe.
— Que va-t-il se passer ? Je ne connais rien à vos procédures. Expliquez-moi.
— Nous allons dresser un procès-verbal d’audition récapitulant tout ce que vous m’avez dit. Ensuite je transmettrai au Commissaire qui en informera le parquet. S’ils le jugent nécessaire, ils saisiront le parquet anti-terroriste qui reprendra l’enquête.
— Et vous là-dedans ? Vous serez dessaisi ?
— Oui Odile, ils ne me feront pas ce plaisir.
Je réfléchis à toutes les conséquences que cette affaire aurait pour moi, pour Suzanne et pour Duthour. J’objectai encore :
— Mais je suis tenue au secret professionnel. En vous parlant, j’ai rompu le secret. Je vais me faire dévisser par l’Ordre moi ! Oh…
— Ne vous inquiétez pas pour cela. Le motif pour lequel vous avez rompu le secret est tout à fait légitime. Vous avez eu connaissance d’une suspicion de faits dramatiques pouvant intervenir et vous avez fait votre devoir de citoyenne. Avec un bon avocat vous vous en sortirez avec un blâme par ces couillons de l’ordre. D’ailleurs, si cela devait arriver aux oreilles de l’ordre, j’y ai quelques bonnes connaissances qui pourront nous aider. Je ne vous laisse pas tomber. C’est sûrement en cela que votre intuition de venir me voir moi a été salutaire. C’est très courageux ce que vous avez fait Odile.
Je me dis d’abord que je devrais consulter Jean sur la conduite à tenir. Puis je pensai que j’allais le faire paniquer et renonçai à cette idée. Je me sentis très seule. Qu’avais-je fait ? Pourquoi avais-je donc ressenti ce besoin irrépressible d’en informer un flic ? Léo me sortit de mes pensées :
— Alors Odile ? Vous me l’envoyez cette vidéo ? Et il me faudra les trois autres aussi.
Je décidai de lui faire confiance.
— Oui. Je vais vous les envoyer. Mais… Léo, je dois vous dire que j’ai la trouille…
— C’est normal Odile. Je sais que ce que je vous demande de faire n’est pas facile. Mais c’est pour une bonne cause.
— Vous me promettez que vous ne me lâcherez pas ?
— Je vous le promets Odile. Sur la tête de ma mère ! Je vous aiderai.