Chapitre 19 : Léo à la Fosse aux Fées

Alors que je roulais vers Aubusson, j’appelai Odile.

— Bonsoir Odile. Je crois que je sais ce qui va se passer…

— Sans blagues ? Fit-elle effarée. Racontez-moi vite…

Je lui relatai brièvement ma dernière discussion avec Lestonne.

— Je pense avoir retrouvé l’ami de Destouches. Il s’agit d’un certain Edwin Hoggan. C’est le type dont l’enfant a été enlevé ce matin à Nice.

— Ah oui ? On ne parle que de cela à la radio.

— Exact. Mais le plus intéressant est qu’il est aussi le propriétaire d’une plateforme de musique en streaming et d’une société qui fait des recherches sur la protéodie. C’est sûrement lui qui a conseillé la protéodie à Suzanne. Ils doivent se connaître. Je pense que le plan de la petite âme perdue est de marier les deux technologies pour balancer une protéodie tueuse sur la plateforme. Cela colle avec la collection de disques d’or de Destouches ! Vous avez des millions de gens qui seront potentiellement impactés. La plateforme permet de savoir exactement combien de gens. A l’unité près ! Vous saisissez ?

— Et c’est Edwin Hoggan, la petite âme perdue ? Demanda-t-elle.

— Je pense plutôt que ce serait son fils. Le bébé que quelqu’un a enlevé ce matin. Le père pour l’instant est plutôt occupé à mettre la technique au point dans le but de s’attaquer un jour à l’industrie pharmaceutique. Ces champions de l’internet adorent casser les marchés établis. C’est comme cela qu’ils font fortune. Après la distribution de musique, celle de la fabrication et de la distribution du médicament sous forme de protéodie. Vous imaginez le marché ?

— Il y a encore du chemin, objecta Odile. Les grands labos ne vont pas se laisser faire. Ils vont verrouiller les autorités de santé et je ne vois pas comment, si une telle technique devait émerger, ils pourraient se faire dépouiller de leurs positions dominantes. Ils vont les racheter.

— Rapstrack est bien trop grosse ! Répondis-je. J’ai vu que la plateforme se valorise à hauteur de trois-cent-cinquante milliards de dollars. Qui a les moyens de se payer cela ? La protéodie c’est une chose, mais sans le diffuseur, ce n’est rien… Et vous avez mis le doigt sur ce qui me fait sortir le Edwin Hoggan de ma liste des suspects : la technique n’est pas au point. Elle ne le sera que dans quelques années. Combien de temps faudra-t-il à Rapstrack pour y parvenir ? Dix ans ? Vingt ans ?

— C’est le temps, fit-elle, qu’il faut pour mettre au point certaines molécules aujourd’hui. On ne produit plus grand-chose de nouveau en ce moment. Mais si la protéodie doit devenir une thérapie homologuée, compte tenu des recours des uns et des autres, cela pourra prendre plus de temps…

— Exact ! Et devinez quel âge à Edwin Hoggan …

— Je ne sais pas…

— Cinquante-sept ans. Ainsi donc, dans trente ans, qui sera à la tête de ses boîtes si on imagine que ces gens se comportent comme des aristocrates d’un autre âge ?

— Son fils… souffla-t-elle.

— Exact ! Son fils unique qui vient juste de naître et que quelqu’un a enlevé ce matin. C’est lui la petite âme perdue !

— J’ai entendu à la radio, reprit-elle, l’intervention du procureur de Nice qui s’inquiétait pour la santé de l’enfant. Il n’est pas sevré.

— Oh oui ! Je parie même qu’il va mourir cet enfant… lançai-je.

— Suzanne ! s’écria-t-elle… Vous pensez que c’est Suzanne qui a enlevé l’enfant !

— Exact ! C’est la seule conclusion logique. Suzanne a disparu parce qu’elle était partie à Nice. Elle a enlevé l’enfant et je crois savoir où elle va…

— Où ? s’écria-t-elle.

— Là où Geneviève Aubin a manqué sa mission !

— A Aubusson ?

— Oui ! Même plus précisément à Saint-Pardoux d’Arnet. Je m’y rends en ce moment. J’espère l’arrêter avant qu’elle n’ait eu le temps de passer à l’acte.

— Mais qu’est-ce qui vous fait croire cela ? Il paraît que toute la région de Nice a été bouclée dans l’heure. Il y aurait des barrages de police et de gendarmerie partout. Elle n’a pas pu passer… Et pourquoi Saint-Pardoux ? C’est ridicule…

— Si le dispositif policier avait été mis en place dans la demi-heure qui a suivi le rapt, je suis d’accord. Mais si à cette heure, ils la cherchent encore, c’est qu’ils ont certainement merdé comme d’habitude. Elle a eu tout le temps pour se faire la belle. Et quelque chose me dit que Suzanne n’est plus seule dans son action. Elle doit déjà avoir eu ce que d’aucun d’entre nous considérerait comme énormément de chance !

— Son guide ? Vous pensez que son guide lui ouvre le chemin ? Demanda-t-elle toujours plus effarée.

— Plus rien ne m’étonnerait, Odile !

Nous fîmes silence un long moment. Nous étions en train de toucher à une réalité qui nous dépassait. Toute notre discussion aurait paru lunaire à quiconque nous aurait écoutés. Odile brisa le silence.

— Mais pourquoi Saint-Pardoux d’Arnet ? Qu’est-ce qui vous rend si sûr qu’elle irait là-bas ?

— Alors là ! Je vais encore vous surprendre. Mais c’est la seule idée qui me soit venue à l’esprit. L’âme qui anime Suzanne a quelque chose à réparer. Le suicide de Geneviève Aubin était une faute. À l’heure qu’il est, Suzanne n’est plus vraiment Suzanne. Elle est tout le monde à la fois. Le capitaine Tyler, le pasteur écossais, Maxime de Hautecour, Geneviève Aubin et Suzanne. Ils vont tous réparer la faute de Geneviève. Je pense qu’il y a quelque chose de cet ordre.

— Vous êtes en train de perdre la tête, Léo ! Lança-t-elle en riant.

— Je me fie à mon intuition. On ne se fie jamais assez à ses intuitions.

— Tous les flics de France sont à ses trousses, répondit-elle. Vous devez faire l’objet de recherche vous aussi désormais… Faites attention de ne pas croiser des gendarmes alors !

— Je tente le tout pour le tout. Je vais aller à la ferme des Aubins. Si j’y retrouve Suzanne, j’aurais eu moi aussi de la chance. Ensuite, quelle que soit l’issue de cette course, je ferai mon rapport à Parnois et je me rendrai aux gendarmes… Mais si je peux sauver ce gosse, cela en vaut la peine, non ? Maintenant qu’on sait ce qu’il voulait faire, on pourra le neutraliser. C’était sa dernière chance car n’oubliez pas que la conjecture de Syracuse chute pour ne jamais plus remonter… C’était maintenant ou jamais pour lui. Il est né. C’est trop tard… Il n’y aura plus d’autre possibilité de mettre son plan à exécution. Vous comprenez ? Et s’il devait m’arriver quelque chose, vous savez tout désormais. Vous pourrez prévenir Parnois…

— Léo ? Fit-elle

— Oui, Odile…

— Faites attention à vous ! Souffla-t-elle.

— Comptez sur moi ! Et vous, détruisez et débarrassez-vous du téléphone sur lequel je vous appelle.

Et nous raccrochâmes. Je me dis sur l’instant qu’elle devait me prendre pour un fou. Et en même temps, Odile était sans doute la seule à pouvoir me comprendre. Elle avait entendu Suzanne. Elle avait voyagé avec elle dans ses vies antérieures. Elle avait croisé ces personnages du passé que Suzanne avait dit avoir été lors de ses régressions. J’appuyai sur le champignon. Chaque seconde comptait. Le compteur afficha 189 kilomètres par heure. Une alarme sonna pour me signaler que j’étais à plus du double de la vitesse autorisée. Elle ne s’arrêta pas avant que j’aie atteint le centre du village de Saint-Pardoux d’Arnet. Je ne l’entendais plus. Tout mon être était tendu sur l’objectif.

J’arrivai peu avant minuit sur la place de l’église. Une fenêtre d’une maison était encore éclairée. Je me ruai vers la porte d’entrée et sonnai. Ne voyant personne venir, je frappai violemment du plat de la main sur la porte en criant.

— Police ! Ouvrez ! Je sais que vous m’entendez !

Je fis un tel boucan, qu’un voisin sortit de chez lui avec un fusil.

— Qu’est-ce que c’est que ce raffut ! Demanda l’homme qui ne pouvait me voir dans le noir.

— Baissez votre arme, lui fis-je. Je suis le lieutenant de police Degois.

Je m’approchai et lorsqu’il vit que je tendais ma carte de police, il se décida à casser son fusil de chasse.

— La police ? Mais qu’est ce qui se passe ? Ça va pas de réveiller les gens comme ça ? Venez par ici. Je suis le Maire !

— Je cherche l’ancienne ferme des Aubins, lui dis-je.

— La ferme des Derveaux vous voulez dire ?

— Oui c’est cela. Mais c’était avant la ferme des Aubins…

— Oui bien sûr. Mais qu’est-ce que vous leur voulez aux Derveaux ? Fit l’homme trop curieux.

— Rien que je puisse vous dire, je dois m’y rendre maintenant. Je n’ai pas le temps de vous expliquer. Où puis-je trouver cette ferme ?

— Monsieur, je suis le Maire et à ce titre j’ai parfaitement le droit de vous demander ce que vous voulez à l’un de mes concitoyens ! Protesta-t-il.

Je ne voulais pas qu’il aille alerter les gendarmes en faisant un scandale. J’aurais perdu trop de temps à leur expliquer les raisons qui m’avaient mis sur la piste de Suzanne.

— Nous devons empêcher un meurtre ! Si vous voulez tout savoir… éructai-je. J’employai le nous à dessein pour qu’il croie que je n’étais pas seul sur l’affaire et qu’il n’aille pas alerter les gendarmes du coin.

— Un meurtre ? Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

— Ecoutez monsieur le Maire, fis-je encore plus impatient, on perd un temps précieux. Je reviendrai vous expliquer quand tout sera réglé. Mais pour l’amour du ciel, indiquez-moi la route de cette ferme.

L’homme se renfrogna et finit par m’indiquer le chemin. J’y fonçai dans un vacarme de pneus crissant. Lorsque j’arrivai devant la ferme, tout était éteint. Lorsque ma voiture approcha du logis principal, un projecteur emplit la cour d’une lumière blanche éblouissante. Je sortis mon arme de poings de ma sacoche et la glissai dans ma ceinture. Un chien attaché à une chaine se mit à aboyer. Je sortis de la voiture en regardant autour de moi. Toutes les portes des granges et remises alentour étaient fermées. Je vis à travers la porte vitrée de l’entrée que la lumière avait été allumée. Alerté par le chien, quelqu’un allait venir. Une femme qui devait avoir près de quatre-vingts ans ouvrit la porte.

— Madame Derveaux ? Lui fis-je.

— Oui monsieur, qui êtes-vous ? Qu’est-ce que vous venez faire ici à cette heure ? Me demanda-t-elle sur le ton qui voulait me montrer qu’elle n’avait pas peur de moi.

— Je suis le lieutenant Degois de la police de Paris.

— La police ? Fit-elle étonnée.

— Je voudrais savoir, poursuivis-je, si vous n’auriez pas vu une femme d’environ quarante-cinq ans passer dans le coin avec un très jeune enfant.

— Ah… non, fit-elle calmement. Je n’ai rien vu de tel. Mais quand aurais-je dû la voir ?

— C’est difficile à dire. Vous avez entendu parler de cet enfant enlevé à Nice ?

— Ah çà oui, on l’a vu aux informations…

— On a toutes raisons de penser que l’enfant aurait été enlevé par une femme, cette femme, et qu’elle serait venue se réfugier dans le coin. Vous êtes seule chez vous ?

— Non… il y a mon mari, mais il est très malade. Il ne sort plus…

— Je souhaiterais rester dans votre cour cette nuit si vous n’y voyez pas d’inconvénient… je vais l’attendre dans ma voiture.

— Ah bon… bien… Faites monsieur l’agent. Faites comme vous voudrez… dit-elle encore calmement puis elle referma la porte et éteignit la lumière.

Je passai la nuit dans ma voiture et rien ne se passa. Je m’étais assoupi quand je fus réveillé au petit matin par trois coups sur la vitre de ma portière. Un homme d’une quarantaine d’années en salopette verte me regardait fixement à travers la fenêtre. Je baissai la vitre.

— Bonjour Monsieur, me dit-il poliment. Il paraît que vous êtes de la police ?

Je lui montrai ma carte.

— Je suis le fils Derveaux, continua-t-il. C’est moi l’exploitant de la ferme. Ma mère m’a appelé pour me prévenir que vous étiez là. Vous cherchez quelqu’un ? Ici, chez nous ?

J’avais encore l’esprit embrumé.

— Je ne sais pas… enfin si. Je suis à la recherche d’une femme et d’un très jeune enfant…

— On n’a rien vu de tel par ici, vous savez… Mais qu’est-ce que vous leur voulez ?

— Il se pourrait que l’enfant enlevé à Nice l’ait été par cette femme et nous pensons qu’elle se cache dans les parages.

— Ah bon ? Mais pourquoi chez nous ?

— Oh çà ! c’est une longue histoire et je ne suis pas autorisé à vous la raconter…

Je me dis sur l’instant que j’avais fait fausse route. J’avais bêtement suivi une intuition et je me rendais compte qu’Odile n’avait pas eu tort de me demander si je n’avais pas perdu la tête. L’homme en face de moi avait l’air de trouver la situation amusante. Il souriait.

— Vous voulez un café pour vous réchauffer ? Me proposa-t-il. Ce n’est pas très commode de dormir dans sa voiture !

— Ah... volontiers, lui fis-je. Vous êtes très aimable.

Nous rentrâmes dans la maison. Nous retrouvâmes Madame Derveaux dans sa cuisine qui me tendit un bol rempli de café fumant qui sentait très bon et une tartine de pain beurrée. Monsieur Derveaux père était assis dans un fauteuil roulant dans un coin à côté du vieux frigo et semblait absent.

— Mangez, me fit-elle. Ça va vous requinquer…

Le fils s’assit en face de moi. Ayant bu une bonne rasade de cet excellent café, je réfléchis à la meilleure manière d’essayer d’engager la conversation et je dis :

— C’était la ferme des Aubins ici avant, n’est-ce pas ?

— Ah oui, fit la vieille. Mais c’était il y a bien longtemps. On la leur a rachetée, voyez-vous ?

— Vous saviez que Geneviève Aubin s’est suicidée ici ? demandai-je sans ambages.

— Oui, continua la vieille. C’était la mère. Mais, nous, c’est au fils qu’on a racheté…

— Eh bien, nous pensons que la femme qui serait venue se cacher ici le ferait à cause de cette histoire… poursuivis-je.

— Ah ? Fit-elle toujours aussi imperturbable, et pour quoi faire ?

Je me retins un instant avant de lâcher :

— Pour répéter ce drame…

— Se suicider ? intervint le fils. Puis regardant sa mère : C’était où maman ?

— Elle s’est pendue dans la grange à foin. Mais on l’a détruite. On y a construit les stabulations depuis.

L’homme partit, sans doute, faire le tour des bâtiments et revint dix minutes plus tard.

— Il n’y a rien, monsieur me dit-il. J’ai regardé partout.

On entendit le vieux monsieur Derveaux tousser. Sa femme se rapprocha de lui.

— Qu’est-ce que t’as ? Lui dit-elle. Tu veux quelque chose ?

L’homme releva la tête. Il avait les yeux blancs de cataracte. Sa main gauche tremblait, trahissant une maladie de Parkinson. Il gémit quelque chose d’inintelligible.

— Qu’est-ce que tu veux papa ? Tu as soif ? Fit la femme impatiemment.

L’homme s’agita encore plus comme pour lui signifier qu’elle ne comprenait pas ce qu’il voulait. La femme se pencha en avant et il chuchota quelque chose qu’on ne put entendre. Madame Derveaux se tourna vers moi.

— Mon mari pense que vous n’êtes pas au bon endroit. Il dit que vous devriez aller voir du côté de la Fosse aux Fées.

— La Fosse aux Fées ? Fis-je sans comprendre.

— C’est comme cela qu’on a appelé un gouffre qui se trouve sur la hauteur derrière, répondit le fils. La légende dit que des femmes s’y seraient suicidées dans le passé. Mais ne l’écoutez pas, il gâtouille. Hein l’père ! Tu racontes des conneries ! Cria-t-il comme s’il parlait à un sourd.

L’homme s’agita en signe d’énervement et retomba dans sa torpeur.

— Elle est où cette fosse ? Demandai-je.

Je partis à pied vers la Fosse aux Fées, accompagné de Derveaux le jeune. Nous marchâmes sur la route cinq minutes avant de tourner dans un chemin creux. L’homme s’arrêta.

— Vous voyez le vieux moulin en ruines là-haut ? Eh bien, derrière vous verrez il y a un gouffre. Vous pouvez en faire le tour. Faites attention, c’est glissant. Ce ne serait pas la première fois que quelqu’un y tomberait !

— Vous ne venez pas avec moi ? Lui demandai-je.

— Oh non ! J’n’aime pas c’coin là. Je n’y ai que des mauvais souvenirs… m’enfin… ça c’est encore une autre histoire… Et j’ai les vaches à traire. Vous ne les entendez pas gueuler ?

L’homme reparti, je m’engageai dans le chemin creux. Au bout de deux-cent mètres, au détour d’un virage que dessinait le chemin, je vis une grosse voiture de sport allemande rutilante, immatriculée dans le département des Alpes Maritimes, garée là, portière conducteur ouverte. Je me mis à courir vers le haut de la butte. L’endroit était sinistre. Arrivé à bout de souffle au vieux moulin, j’en fis le tour, l’arme au poing. J’appelai :

— Suzanne ! Vous êtes là ? Suzanne Flandrin. Vous êtes là ?

J’entrai dans le moulin qui devait servir de squat à des jeunes désoeuvrés qui en avaient tagué les murs. Personne. Ressortis, j’atteignis le bord du gouffre et ne pus voir le fond de là où j’étais. Je regardai autour de moi et vis une sente qui partait sur la droite et semblait circuler autour de la gueule du gouffre dont le diamètre à cet endroit devait être d’une trentaine de mètres. Tout en continuant à appeler, j’avançai sur le sentier. Arrivé de l’autre côté, faisant face au moulin, je pus apercevoir à une vingtaine de mètres en contre-bas, le corps désarticulé d’une femme dont la tête avait été fracassée, c’était Suzanne. Elle tenait dans les bras, le petit William Hoggan qui était visiblement mort lui aussi. Les deux gisaient dans une flaque de sang et de morceaux de cervelle. Je ne soutins pas longtemps cette vision. Le choc avait dû être d’une rare violence. Je fus pris d’une nausée et vomissait le bon café de la Mère Derveaux. J’étais arrivé trop tard. Il n’y avait plus rien à faire d’autre que de prévenir les gendarmes. Je fis le 17.

— Ici le lieutenant Léo Degois, fis-je d’une voix blanche. J’ai retrouvé le petit Hoggan et sa ravisseuse. Je suis au lieu-dit la Fosse aux Fées à Saint-Pardoux d’Arnet. Code 10-109 (suicide).

À peine avais-je raccroché que je cherchai le numéro de téléphone de Parnois et lui fis mon compte-rendu.

Vingt minutes plus tard, deux estafettes de gendarmerie arrivèrent sirènes hurlantes. Puis deux autres véhicules transportant le commandant de gendarmerie et le Procureur de la République d’Aubusson arrivèrent. Je rendis ma carte et mon arme au gendarme qui vint me dire mes droits. Un autre me demanda de bien vouloir passer les mains dans le dos. Je sentis l’acier froid des menottes se resserrer sur mes poignets.

L’affaire Suzanne Flandrin était terminée pour moi. Ce n’est que bien plus tard, lorsque je me retrouvai devant la juge d’instruction et ceux de la Cour d’Assises, que je mesurai, dans leurs yeux, le caractère inaccessible de cette histoire. Je fus condamné à dix ans de prison ferme pour rapt d’enfant et mis à la retraite d’office. À ma sortie au bout de 7 ans pour bonne conduite, Odile, Jean et Viktor m’attendaient. Ils m’emmenèrent boire un café au troquet du coin. Un romancier du nom de Christophe Girard qui leur avait donné rendez-vous se joignit à nous.

— Voilà la famille réunie. Je veux raconter votre histoire, nous dit-il…

— Et qui va nous croire cette fois ? questionnai-je.