Chapitres 17 : Odile raconte la disparition de Suzanne.
Je rentrai à la maison pour y retrouver Jean. Il avait sorti une bouteille de champagne pour fêter la levée de la surveillance de la maison.
— Tu as vu ? Me dit-il. La camionnette est partie. On va enfin pouvoir reprendre le cours tranquille de notre vie.
— Espérons que tu auras raison, lui fis-je.
Ce soir-là, nous dînâmes joyeusement avec nos filles qui nous avaient rejoints. Nous nous brossâmes les dents ensemble et firent l’amour avant de nous endormir l’un contre l’autre. Tout semblait rentrer dans l’ordre, mais je me réveillai inquiète dans la nuit. Je pensai à Léo et me demandai où il pouvait bien être à cette heure. Était-il toujours aux mains des policiers ou avait-il été relâché ? Lors de notre dernier entretien téléphonique, avant qu’il ne parte pour la DGSI, il m’avait demandé de faire plusieurs choses pour lui. Je devais d’abord lui faire un topo sur l’état de la science en ce qui concerne la possibilité d’une nouvelle pandémie. J’avais rempli ma mission en allant voir le Professeur Bastin à la Salpêtrière. Il m’avait demandé de lui acheter un ordinateur portable et d’y taper mon rapport ainsi que le compte-rendu de la séance de Suzanne. J’avais fourré le matériel dans un sac de sport avec un téléphone, une carte SIM prépayée dont j’avais noté le numéro, le guide des Gîtes de France et une liasse de billets de cinquante euros pour une valeur de trois mille euros ; le parfait kit du bandit en cavale. J’étais allée déposer le sac dans une consigne à la Gare de Lyon. Il m’avait dit qu’il m’appellerait et nous avions convenu d’un jeu de rôle pour que je puisse lui indiquer le numéro de la consigne et le code de déverrouillage. Je m’étais bien amusée à jouer la comédie à la barbe des barbouzes…
Nous fûmes réveillés le lendemain matin à 06:00 par des coups dans la porte d’entrée. C’était la DGSI qui revenait. Deux hommes que je n’avais encore jamais vus me demandèrent de les suivre. Une heure plus tard, je me retrouvai entendue comme témoin par le commandant Parnois.
— Je suis désolé de vous avoir fait venir si tôt, madame Lebrun-Théron, mais le temps presse. Suzanne Flandrin a disparu ! Avez-vous une idée d’où elle aurait pu aller ?
La question ne manqua pas de me surprendre.
— Eh bien non ! Comment le saurais-je ? Vous m’écoutez depuis des semaines et j’imagine que vous avez l’enregistrement de notre dernière conversation d’hier. Tout ce qu’elle m’a dit c’est qu’elle voulait arrêter la thérapie et qu’elle devait rentrer rapidement auprès de sa fille. Je ne sais pas si sa fille habitait chez elle ou ailleurs. Vous êtes-vous renseigné à ce sujet ?
— Oui. La fille est toujours domiciliée chez sa mère. Elle est actuellement entendue par mes collaborateurs.
Il se grata le menton.
— Mais avant que toute cette affaire ne nous concerne, elle ne vous a jamais parlé d’un lieu de villégiature où elle aimait se rendre ou autre chose de ce genre ?
— Mais non ! m’écriai-je. Que croyez-vous ? Les patients ne nous racontent pas leur vie. Ils viennent pour se faire soigner pas pour papoter ! J’ai l’impression que vous pensez que j’aurais eu d’autres relations avec madame Flandrin que celle d’un médecin vis-à-vis de son patient ! Je peux vous dire que ce n’est pas le cas !
— Excusez-moi, madame, fit Parnois, mais je dois vous poser ces questions.
Il ouvrit un dossier devant lui puis repris.
— Pensez-vous que Suzanne Flandrin aurait le profil d’un terroriste ?
— D’un terroriste ? Répétai-je interloquée. Vous pensez que Suzanne Flandrin pourrait être l’organisatrice de la catastrophe qu’elle annonce ?
— C’est moi qui pose les questions, madame. Me fit-il sur un ton sec.
— Excusez-moi, commandant, répondis-je. Non ! Je ne crois pas que la pauvre Suzanne Flandrin soit une terroriste. Cette femme est une ancienne magistrate si j’ai bien compris ce que m’a dit le Lieutenant Degois quand il a pris ma déposition. Et, au demeurant, je ne crois pas qu’elle pourrait faire du mal à une mouche. Elle était, semble-t-il, très heureuse avant de contracter son psoriasis. C’est en tous cas ce qu’elle semblait dire en répétant que cette maladie lui avait gâché sa vie. Par conséquent, la réponse est non.
— Bien, fit-il en refermant son dossier. Y aurait-il quelque chose, qui, selon vous, aurait pu déclencher cette fugue ?
— Madame Flandrin est une adulte. Elle fait bien ce qu’elle veut. Elle vient d’apprendre que son ex-amant qui est aussi le père de sa fille est mort dans un accident de voiture. Elle a peut-être voulu prendre un peu de distance…
— En abandonnant sa fille qui est visiblement effondrée de la mort de son père, objecta Parnois. Elle vous a elle-même dit qu’elle devait retourner auprès d’elle… cela ne colle pas…
— Effectivement. Vous avez peut-être raison. Mais ce ne serait pas la première de mes patientes à faire le contraire de ce qu’elle dit. Vous savez, les émotions fortes ont parfois des effets imprévus sur les gens. Je lui ai moi-même conseillé de se poser pour digérer la nouvelle. Peut-être a-t-elle fini par s’en remettre à mon avis ?
— Mais pourquoi partir à pied alors ?
— Je ne sais pas. Vous devriez peut-être lancer un avis de disparition. Elle est peut-être partie marcher dans la ville et aurait fait une mauvaise rencontre.
— On a vérifié… fit-il.
Je voulais abréger cet entretien qui ne menait nulle-part.
— Je suis désolée de ne pas pouvoir vous aider davantage, commandant, lui dis-je.
Il se leva, me remercia et me fit raccompagner chez moi. Pendant le voyage du retour, à l’arrière du véhicule de police, je me mis à penser à cette hypothèse. En supposant que Suzanne aurait été l’auteur de la catastrophe, pourquoi aurait-elle permis à quiconque d’enquêter sur ses plans ? Sans raison particulière, je m’étais toujours dit que la petite âme perdue devait être la seule à avoir une conscience complète du passé, du présent et du futur dans cette vie et dans « l’autre vie ». Qu’aurait-elle donc eu besoin d’en parler ? « Sinon pour que quelqu’un l’arrête avant que la catastrophe ne se produise ! » Pensai-je soudain. Elle serait venue appeler au secours ? L’état de Suzanne s’était brutalement amélioré au moment où Léo avait décodé la conjecture qui rythmait les passages à l’acte de la petite âme perdue. On pouvait se demander si ce changement d’état n’avait pas agi comme un signe que quelqu’un était en mesure de se lancer à ses trousses avec une bonne chance de réussite… Mais alors, pourquoi s’enfuir si elle voulait être prise avant de commettre son forfait ? Je pensai à tous ces psychopathes qui laissaient des traces derrière eux et que les criminologues interprétaient comme autant d’actes manqués par lesquels ces criminels espéraient inconsciemment se faire attraper par la police. Se pouvait-il qu’on soit dans ce cas ?
J’essayai de ne plus me poser de questions en me disant que ce n’était plus mon affaire mais pensai en même temps que nous pouvions être les futures victimes de cette folie. Je ne pouvais m’empêcher de croire que le seul à pouvoir découvrir la solution était Léo. Il avait eu tant de bonnes intuitions qu’il finirait par découvrir le pot aux roses… J’avais confiance en lui mais s’il était emprisonné par la DGSI, il ne pourrait plus rien faire… Toutes ces idées contradictoires m’occupaient l’esprit quand le téléphone sonna.
— Odile ? C’est Léo !
— Léo ? Où êtes-vous ?
— Quelque part… je ne peux pas vous le dire.
— Mais enfin, pourquoi donc ?
— Jocker ! Fit-il.
Je compris qu’il était vraiment en cavale et que je m’étais rendue complice en l’aidant… Je paniquai sur le coup.
— Rassurez-vous, rien ne permettra de remonter jusqu’à vous. Faites-moi confiance, fit-il. Je n’ai pas beaucoup de temps. Que s’est-il passé avec Suzanne ? Vous écrivez que son état s’est amélioré.
— Oui les plaques ont diminué en surface et en volume.
— A quoi cela est-il du ?
— Je vois cinq possibilités : 1) la guérison spontanée, mais je n’y crois pas ; 2) le résultat de la thérapie mais je n’y crois pas non plus car le travail ne faisait que commencer ; 3) sa protéodie, mais je n’y connais rien ; 4) le choc émotionnel positif de la disparition de Georges qui l’aurait libéré d’un poids, et ça j’y crois plus ; 5) Votre découverte de la conjecture.
— C’est quoi la protéodie ? Demanda-t-il.
— Connais pas. Il faut chercher, répondis-je machinalement.
— Bien ! Et pour la pandémie, vous êtes certaine que l’information est exacte ? On ne peut plus connaître de pandémie ?
— Si, on peut avoir des pandémies mais rien qui ferait des centaines de millions de victimes.
— Il est fiable votre Bastin ?
— Sais pas… répondis-je. C’est un professeur en maladies infectieuses et il avait l’air tout à fait catégorique. Il est très fier de ne pas s’être compromis dans le débat sur les traitements du COVID. Ce type à l’air d’avoir la tête sur les épaules. Mais là encore, il faudrait vérifier. C’est ce que vous savez faire le mieux, n’est-ce pas ?
— Bon ! Et Suzanne, elle veut arrêter la thérapie ? Demanda-t-il toujours plus empressé.
— Oui, mais il y a pire. Elle a disparu en sortant de chez moi. Ce matin j’ai été entendue par la DGSI à ce propos. Ils se demandent si Suzanne ne serait pas le tueur. Vous y croyez, vous ?
— C’est effectivement une possibilité, dit-il. On se serait fait balader… Mais ce n’est pas certain non plus… Cette disparition ne me dit rien qui vaille. Soit elle a identifié la petite âme perdue et est partie la chercher soit elle est la petite âme perdue et elle se cache ou pire, elle prépare son coup…
— Selon moi, c’est ce qui pourrait valider la cinquième hypothèse concernant la raison de la guérison, lâchai-je.
— Vous croyez ? Demanda-t-il puis il ajouta : Je nage en plein brouillard et maintenant que Suzanne est dans la nature, le temps presse.
— Qu’allez-vous faire Léo ? Demandai-je.
— Chercher, Odile. Vérifier si ce Bastin est digne de confiance et récolter le plus d’informations sur tout ce qu’on ne connaît pas. Je pense que tant que nous n’aurons pas une idée sur le mode opératoire possible, on n’avancera pas dans notre enquête. C’est le verrou suivant. Si nous avons une idée de ce qui va se passer, on restreint les auteurs possibles. Il n’y a sûrement pas tant d’individus en mesure de tuer tant de gens. Mais qu’est-ce qui peut tuer tant de monde et qui ne serait ni une guerre nucléaire ni une pandémie si Bastin a raison ?
— Pourquoi éliminez-vous la guerre nucléaire ?
— Trop compliqué, souffla-t-il. Trop d’obstacles. Trop d’aléas. Je ne sais pas. Le nombre de victimes est prédit à l’unité près par la conjecture pour le cas des Amérindiens. Quelque chose me dit que cette précision compte. Il n’en mourra pas un de moins ni un de plus. Or je ne vois pas comment cela pourrait arriver avec une pluie d’ogives…
— Parce que vous croyez qu’il a maîtrisé le nombre de victimes de la grippe espagnole à l’unité près ? Comment serait-ce possible ? Demandai-je.
— Je ne sais pas, je réfléchis tout haut. Mais si c’est une âme qui transcende la réalité physique, elle peut bien avoir la maîtrise des processus biologiques. Rien ne lui serait impossible.
— Si c’est le cas, je veux bien manger mes diplômes ! Fis-je en riant.
— Vous gardez le sourire ! C’est bien Odile. Je vous rappelle si j’ai besoin de votre aide.
Il m’appela trois jours plus tard pour m’annoncer de nouvelles découvertes…